Une discussion avec trois membres du groupe Fauve sous le soleil brûlant des Eurockéennes.
Pour ses 25 ans le festival des Eurockéennes avait invité Fauve, le groupe à l'ascension fulgurante et voix de toute une génération qui se retrouve en lui. Il a crée des adorateurs, des détracteurs mais aussi et surtout beaucoup de questionnements : pas de maison de disque, pas de visage et la volonté de garder l'anonymat des membres du groupe.
Aujourd'hui sort leur premier album Vieux Frères, à cette occasion CBB vous livre sa rencontre avec Fauve.
Question journalistes : Comment
vous voyez l’avenir de Fauve en terme de nombre ? J’ai lu que des
personnes avec du talent pouvaient vous rejoindre.
Fauve : Pas avec
du talent mais avec de l’envie !
On tente de
vous saisir (émission de radio, télé etc), et tout est allé très vite, en
décembre on ne vous connaissait pas. En janvier/février vous avez éclaté et là
des radios, des festivals vous suivent !
F : Complètement, mais le truc c’est que c’est hyper tôt pour nous
saisir alors qu’on est encore dans nos chambres ! Y’a des parties qui sont
vraiment enthousiasmantes, belles, on est entre nous, entre potes et amis de
longue date. Déjà on est contents d’être ensemble, ça nous permet de vivre des
choses qu’on n’aurait jamais vécues. On est sur le cul dès qu’il se passe un
truc parce qu’on l’a pas voulu, on l’a pas cherché. Mais il y a des choses qui
nous font vraiment et qui sont vraiment désagréables. Parfois c’est dur, comme la
gestion du buzz qu’il y a eu. Y’a des gens qu’y trouvent ça chanmé mais y’a des
gens qui trouvent ça merdique, qui nous disent qu’on est des grosses merdes,
des connards. Y’a de la suspicion aussi, des gens qui disent « qu’est ce
qu’il y a derrière » « qu’est-ce que ça cache », ou encore quand
on fait un concert « je viens à votre concert j’espère que vous ne me
décevrez pas » ou « ne changez jamais » ça c’est hyper étrange.
On revendique le droit à l’erreur, on n’est pas des professionnels, ce n’est
pas notre métier on a fait ça pour nous parce que ça nous faisait du bien, il y
avait et il y a toujours d’ailleurs, une démarche thérapeutique.
Vous n’avez pas peur
que ça vous échappe ? En créant une telle attente, vous faites monter les
enchères, vous risquez de vous faire récupérer par tout ce milieu là. Votre
tourneur réagit comme si vous étiez Placebo
F : Déjà, nous on veut garder le contrôle sur tout ce qu’on peut
faire tout seul, c’est pour ça qu’on a sorti un disque sans maison de disque,
c’est pour ça qu’on est en train de créer notre propre label pour pouvoir
continuer à travailler tout seul. Y’a des choses qu’on ne peut pas faire tout
seul, et la tournée on ne peut pas ça prend beaucoup de temps, c’est très
compliqué. Le tourneur est notre premier collaborateur, c’est le premier qu’on
a choisi parce que c’était notre priorité à nous depuis le début : on
s’est dit on veut aller sur la route, on veut sortir de Paris, y’a que
là-dessus qu’on peut se faire plaisir, aller à la rencontre des gens, du
public. On bosse bien avec notre tourneur, on a choisi de travailler avec lui,
on a des discussions de fond sur le projet et on a l’impression qu’ils ont
compris. Depuis des mois ils nous poussent à développer les Nuits Fauves,
chaque fois qu’on fait une Nuit Fauve on perd de l’argent, enfin le tourneur,
mais ils nous poussent à le faire parce que c’est vraiment Fauve. En ce qui
concerne les festivals, on se dit qu’il faut calmer le jeu, on essaye d’y aller
doucement, on ne joue pas de la rareté. Ce soir on joue sur la plus petite des
scènes, on n’a pas envie de se griller en montant sur une grande scène, ce
serait le pire truc à faire pour nous parce qu’on n’est pas au niveau.
Mais vous n’avez pas
peur de devenir très médiatiques, d’être diffusés sur NRJ et d’être happés par
ce monde là ?
F : On est des gens « normaux », on ne se précipite pas, et
on est cinq à prendre des décisions. On est quand même maîtres du truc. Par
exemple on n’a pas voulu faire de télé, et très peu d’interviews presse. On en
a fait une avec les Inrocks pour avoir un papier de qualité, et on a passé
trois heures avec la personne. Et les émissions de radio on en a fait trois ou
quatre. On a envie de faire les choses de manières proportionnelles.
Il y a des artistes
qui ont connu des ascensions fulgurantes et dont on n’entend plus parler
F : On veut pas fatiguer les gens, devenir chiants. Mais si
demain tout devait s’arrêter, ce serait pas grave. On n’a pas l’ambition de
faire carrière dans la musique, on n’est pas des musiciens. Il y a trois mois on
avait tous des boulots, on n’a pas 20/22 ans en mode « la musique c’est
notre vie, on veut créer, on veut faire carrière ». Nous on nous a proposé
ça, on a tenté et c’est cool. Si demain ça s’arrête tant mieux ou tant pis,
nous on continuera à le faire parce qu’on en aura besoin, même si personne n’écoute.
Ce qui est cool c’est qu’on va quand même faire un album.
On en parlait ce matin dans le van, et on se disait que ce
serait déprimant de se retrouver musicien à 45 ans. (rires) Ce n’est pas notre
métier !
Et puis vous n’aurez
peut-être plus rien à dire dans 25 ans
F : On aura toujours quelque chose à dire. Mais c’est important
de garder l’atmosphère qui nous permet de garder cette fonction d’exutoire à
Fauve. Comme on l’a dit tout à l’heure on réfléchit à l’album, mais une chose
est sûre c’est qu’on n’ira pas en studio , on le fera dans notre chambre
comme d’habitude. Fauve c’est un accident depuis le début.
Le chanteur passe près de nous
D’ailleurs comment
dit-on ? Chanter ? Parler ? Slamer ?
F : Parler. Le truc c’est que dans le slam l’instru est hyper
basse, alors que nous la musique est importante.
Qui écrit ?
F : En fait on a tous des corps de métier différents, on a tous
une petite spécialité mais on met tout en commun. Il y en a un qui écrit des
textes et ensuite on se met à écrire à plusieurs et on travaille ces textes
pour les mettre en musique. Pareil pour tout le reste.
L’usage de la
grossièreté c’est pour saisir l’auditoire, s’adresser à un public particulier ?
F : Pas du tout. Il n’y a aucune volonté de s’adresser à qui que
ce soit à part nous-même et nos proches.
C’est plus possible
de ne vous adresser qu’à vos proches !
F : Bah si. C’est juste que lorsqu’il y a un « tu » ça
s’adresse à une personne précise. Il n’y a pas de volonté de parler à tout le
monde. Fauve est un exutoire, une réflexion comme quand tu es sous la douche ou
que tu parles à ton pote, et quand tu parles à ton pote tu dis « putain,
fait chier ». C’est pas de la provoc. Quand il y a un gros mot ou un truc
dur, c’est comme ça qu’on le ressent on qu’on se le dit entre nous. Un autre exemple, il y a des chansons qui ont
évolué avec le temps, les paroles ont évolué parce que ce qui s’est passé dans
la vie a changé et on est obligés de changer la chanson.
Il paraît qu’il y a
tout un cérémonial sur scène, le parleur se déplace un peu comme un fauve en
cage. Pourquoi cette image de démarche de robot.
F : Je pense que c’est spontané, il y a beaucoup beaucoup de
textes, ce sont des textes assez intimes. Ce sont des textes assez intimes, et se
poser, prendre son micro face au public c’est quelque chose qui nous met très
mal à l’aise et le fait de se déplacer c’est représentatif de la façon dont c’est
écrit à la base. L’écriture est frénétique, on se pose pas pour trouver le bon
vers, le bon mot. Et puis bon, on sait pas danser, on bouge comme on peut.
Qu’est-ce que vous
écoutez comme musique ?
F : Comme on est plein, les influences viennent de partout, on
écoute du rock du rap. Y’en a qui écoutent du punk, du hardcore. Il y a un beau
mélange, on n’est pas sectaires. Traditionnellement quand on écrit des chansons
on part de la mélodie. Quand on écrit des chansons là, on part d’un texte, on
se demande quelle couleur on va lui donner, on part du texte et pas de la
musique.
Dans certains
collectifs il y a plusieurs parleurs, vous n’en avez qu’un, c’est amené à
changer où il n’y a que lui qui sait manier l’expression ?
F : Il peut y avoir plusieurs parleurs, ça dépend de ce qu’il y
à dire. C’est pas figé. Ponctuellement il y a d’autres gens qui nous ont prêté
leur voix.
Il y a un petite
démarche philosophique, ça fait beaucoup réfléchir les gens
F : Nous ça nous aide, mettre des mots sur les choses ça aide.
Quand tu as une angoisse, une frustration, un truc qui va te faire sentir mal
le fait de pouvoir en discuter et de cristalliser ça va aider à passer à autre
chose. Mettre des mots sur les choses ça leur donne leur véritable dimension,
et à partir de là créer des solutions dans l’écriture et quand t’écris les
solutions ça devient une sorte de mantra, de quête. On essaye de rapatrier ça
dans nos vies et rapatrier ce qu’on peut de fauve dans nos vies, fauve au sens
qualificatif. On a une sorte d’idéal fauve qu’on aimerait tous être, on est
mieux que personne, on est comme tout le monde.
Vous vous appeler
Fauve par rapport au film Les Nuits Fauves, pourquoi ?
F : En fait c’est par rapport à l’affiche du film et on avait
tous en tête que ce film là avait une forte charge émotionnelle. Quand on a
discuté entre nous on l’a associé à un truc hyper fort. A force d’en discuter
on pense à des petites choses, au courant pictural du fauvisme, l’animal un peu
sauvage un peu brute, on s’est dit qu’on avait trouvé le bon nom. On a réussi à
définir ce qu’on voulait faire.
Vous faites quoi dans
la vie ?
F : On fait Fauve. On a arrêté de bosser il y a deux mois. En
début d’année, en septembre, Fauve c’était un exutoire. On se retrouvait deux
fois par semaines, ça nous servait grave pour évacuer. Puis c’est passé de deux
soirs à trois soirs, puis à quatre et à cinq soirs plus le weekend et à la fin
tu n’as plus de vie du tout. Au final on faisait mal les choses, on faisait mal
Fauve, on faisait mal notre travail.
On avait des boulots de bureau, dans des domaines et des
niveaux différents. On n’aime pas trop parler de nos vies.
Ça ne vous ferait pas peur d'y retourner ?
F : On a vécu des choses
qui nous ont profondément marqués, mais je pense qu’on y retournera, on n’a pas
d’ambition de carrière dans la musique. C’est un peu comme des vacances, mais
les vacances c’est chouette parce qu’il y a le travail.
Après une heure de discussion, le chanteur nous rejoint.
Comment t’as appris à
parler à débiter le flot que tu envoies ?
F: A la base il n’y a pas d’apprentissage
ou de calcul, le meilleur moyen que ces textes produisent leurs effets
cathartiques c’était de les réciter tels quels.
L'un des journalistes demande de faire une photo, ils refusent.
F : Alors à la base c'est comme beaucoup de gens, on n'aime pas nos gueules sur les photos. On a toujours voulu rester discrets par pudeur, et c'était comme ça depuis le début. Les paroles sont déjà super transparentes, t'as pas envie que tes parents ou tes potes vois ta gueule en gros plan. Plus le fait qu'on n'est pas à l'aise avec ça, c'est pas notre truc, on s'est dit : c'est la solution la plus arrangeante, on peut le faire parce que de toute façon on s'en branle, on n'a pas d'attente. On n'est pas masqués, on n'est pas cachés, on ne veut juste pas être identifiables. Sur scène il y a les lumières qui nous cachent, sinon on aurait l'impression d'être nus.
* Page Facebook, site officiel du collectif Fauve.
A.D
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